[Sortez les tapettes a mouches] De la libellule au microdrone : comment les insectes nous apprennent à voler

"Hummingbird" (colibri), le microdrone de AeroVironment.

« Hummingbird » (colibri), le microdrone de AeroVironment

 

Icare a fondu au soleil. Depuis, l’homme est allé sur la lune, mais il a toujours échoué à rééditer ce premier exploit mythologique : s’élever dans les airs en battant des ailes. Fusée, avion, hélicoptère… le vol se décline aujourd’hui sous les formes les plus variées, mais celui des origines – le vol à ailes battantes des oiseaux et des libellules – est jusqu’à récemment demeuré une prouesse technologique inimitable.

L‘ornithoptère de Léonard de Vinci est resté à l’état de projet, et de nombreux inventeurs se sont cassé les dents – parfois brisé les reins – sur le défi que représentent les aéronefs à ailes battantes. Un Français, Etienne Œhmichen, a consacré sa vie à tenter de percer le mystère du vol des insectes et à tenter de le reproduire. Il est mort oublié et ruiné dans les années 1950, et ses successeurs ont tourné le dos pendant des décennies au règne animal.

Extrait du documentaire « Les incroyables machines volantes du professeur Oehmichen » :

Les travaux d’Œhmichen, autrefois raillés, sont aujourd’hui réhabilités dans un domaine de pointe : les microdrones. De par leur taille, ces engins volants de moins de 15 cm posent de nouvelles contraintes et nécessitent de s’intéresser aux techniques de vol inspirées du vivant. Le biomimétisme a ainsi donné naissance ces dernières années à de curieux objets volants. L’un des plus aboutis à ce jour est l’oiseau-mouche (« hummingbird ») présenté au grand public il y a un an par la société américaine AeroVironment :

Les microdrones à ailes battantes n’ont rien d’un gadget : ils sont la conséquence logique de la miniaturisation et constituent une nouvelle frontière stratégique. Les drones à voilure fixe (type avion) sont rapides, mais incapables de vol stationnaire et surtout peu performants à taille réduite. Les drones à voilure tournante (hélicoptère ou multirotor) maîtrisent le vol stationnaire, mais sont lents, bruyants, gourmands en énergie et peu adaptés à la miniature.

Extrêmement maniables, rapides, miniaturisables à l’extrême (jusqu’à un ou deux centimètres), très stables en vol stationnaire, silencieux, parfaitement adaptés aux espaces confinés et sans doute, à terme, plus économes en énergie, les microdrones à ailes battantes mobilisent aujourd’hui des équipes de chercheurs aux quatre coins du globe.

Le « Smartbird » de Festo (Allemagne), qui produit également des drones « méduses » :

Le « Delfly » (Pays-Bas) :

En France, c’est l’Office national d’études et de recherches aérospatiales (Onera), sous tutelle du ministère de la défense, qui s’est lancé dans l’aventure il y a dix ans avec le projet Remanta. A partir de 2003, l’équipe dirigée par Agnès Luc-Bouhali décide de s’inspirer de la mécanique de vol de la libellule et se met au défi de réaliser un prototype d’une quinzaine de centimètres d’envergure pour une vingtaine de grammes. Voici à quoi il pourrait ressembler :

Le choix de l’insecte référent s’est imposé de lui-même. « La libellule est un insecte très ancien, il en existait des géantes de 70 cm d’envergure au primaire. Elles sont donc moins sophistiquées que les diptères (mouches, moustiques…), mais plus faciles à imiter sur le plan mécanique. Et surtout, leur fréquence de battement d’ailes est comprise entre 20 et 40 hertz [battements par seconde], contre jusqu’à parfois 1 000 hertz pour les mouches ! », explique Agnès Luc-Bouhali. L’équipe s’est alors associée avec un micro-chirurgien, Philippe May, chargé d’élever des libellules, de les filmer et d’analyser leur mécanique de vol.

Car contrairement aux projets de microdrones existants, dont les ailes sont actionnées par des engrenages, absents du règne animal, le projet Remanta s’inspire réellement du biomécanisme de l’insecte. L’ambition est immense : il s’agit de recréer la déformation vibratoire du thorax de la libellule, à l’origine du battement des ailes qui y sont fixées, pour faire voler l’engin. C’est cette technique qui permet aux insectes de battre des ailes à très haute fréquence en utilisant un minimum d’énergie.

A cette fin, l’équipe de l’Onera teste, en partenariat avec une PME de Mulhouse (Haut-Rhin), des matériaux électrostrictifs, qui se déforment en fonction du champ électrique appliqué. Par leur action, ils fléchissent la plaque courbée qui compose le dos du drone et à laquelle sont fixées les ailes. La plaque est ainsi soumise à une déformation qui l’amène à osciller entre deux positions (haute et basse). Les ailes sont alors mises en battement à une fréquence dépendant directement du signal électrique envoyé aux matériaux électrostrictifs.

 

Le système d’actionnement des ailes est composé d’une structure courbée en forme de diapason, liée à une plaque sur laquelle sont fixées les ailes.
Le système d’actionnement des ailes est composé d’une structure courbée en forme de diapason, liée à une plaque sur laquelle sont fixées les ailes

Il est alors possible d’obtenir des amplitudes de battement importantes à des fréquences élevées proches de la résonance. Cette fréquence, aussi appelée fréquence « propre », est celle qui peut faire s’écrouler une structure – comme un pont – soumise à une certaine oscillation : elle permet ici d’optimiser la récupération d’énergie du thorax, comme chez les libellules, et de produire le battement d’ailes recherché.

La résonance a surtout pour vertu de permettre aux ailes de se tordre, comme le feraient les rames d’un aviron, pour limiter le frottement de l’air. Les ailes des insectes sont passives, aucun muscle ne les anime. C’est la fréquence du battement qui leur permet d’entrer en torsion, une dimension essentielle de leur technique de vol (vidéo Onera) :

 

« Un insecte de cette taille a les mêmes sensations dans l’air qu’un homme qui nage dans l’eau, explique Jean-Yves Andro, qui a travaillé sur l’aérodynamique des ailes. Ça n’a absolument rien à voir avec un avion. Il y a énormément de tourbillons : au lieu de les combattre, l’insecte, ou le microdrone, s’appuie littéralement dessus pour se propulser ou rester en sustentation. »

 

Tête d'une mouche bleue "calliphora vomitoria".
Tête d’une mouche bleue « calliphora vomitoria »

Autre chantier crucial : l’autonomie de pilotage. Il est extrêmement difficile de commander un drone aussi rapide et maniable à travers une caméra embarquée, particulièrement en milieu clos. L’engin devra donc être capable de détecter les obstacles par lui-même. La bio-inspiration, également très prometteuse dans le domaine de l’optique, ouvre déjà des pistes qui permettront d’inventer les capteurs de demain.

« Que voit l’œil d’une mouche ?, demande Agnès Luc-Bouhali. Il ne repère pas les points fixes ni la distance, mais la vitesse de défilement. » Afin de voler droit dans un couloir, une mouche équilibre donc la vitesse de défilement de ses deux yeux, ce qui lui permet de contrôler sa trajectoire et son altitude. Autres pistes étudiées pour équiper ces microdrones : les ultrasons ou encore le laser.

 

Nicolas Franceschini, responsable de l'équipe Biorobotique au laboratoire Mouvement et perception du CNRS de Marseille, présente un hélicoptère de 100 grammes, dont "l'œil de mouche" ventral observe en permanence le sol et lui permet d'ajuster son altitude et sa vitesse sans jamais les mesurer.
Nicolas Franceschini, responsable de l’équipe Biorobotique au laboratoire Mouvement et perception du CNRS de Marseille, présente un hélicoptère de 100 grammes, dont « l’œil de mouche » ventral observe en permanence le sol et lui permet d’ajuster son altitude et sa vitesse sans jamais les mesurer

Contrairement à ce qui se passe en Allemagne, la bio-inspiration, dont Etienne Œhmichen était pourtant un pionnier, est tardive et limitée en France. Elle a longtemps souffert de la séparation académique entre les sciences du vivant et l’ingénierie. « Ceux qui observent le vivant veulent comprendre comment ça marche, mais ils ne se demandent pas toujours à quoi ça pourrait nous servir. L’ingénieur, lui, cherche l’application possible », résume Agnès Luc-Bouhali.

L’un des intérêts du projet Remanta est précisément d’avoir réuni plusieurs disciplines telles que l’aérodynamique, les matériaux, l’optique, l’informatique, l’énergétique, le traitement de l’information et… la biologie. Pourtant, malgré dix années de travaux et d’importantes avancées, le prototype ne verra peut-être jamais le jour. Financé sur fonds propres de l’Onera, le projet n’a reçu aucun financement de la Direction générale des armées, dont l’Office dépend, et n’a pas su séduire les investisseurs.

« Si les financements reprenaient, nous pourrions mettre au point un prototype volant d’ici trois ans. Il ne serait pas optimal, mais il volerait », explique Agnès Luc-Bouhali. Malheureusement, si le concept fait fantasmer, le retour sur investissement est encore incertain. C’est un jouet un peu cher. » Alors que ses cousines américaines, allemandes ou néerlandaises battent déjà des ailes, la libellule made in France reste pour l’heure clouée au sol, faute de carburant…

(Le monde)

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Une réponse à [Sortez les tapettes a mouches] De la libellule au microdrone : comment les insectes nous apprennent à voler

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