[Des machines dans la tête] Un pacemaker cérébral contre les tics

Elle était si désespérée qu’elle songeait à aller en Suisse pour demander un suicide assisté. Jayne Bargent, 55 ans, atteinte d’une forme sévère de syndrome de Gilles de la Tourette, raconte aujourd’hui qu’elle ne se sent plus la même personne, que le traitement est en train de lui « rendre sa vie ».
Moins d’une heure après l’activation d’électrodes implantées dans son cerveau, les tics et les mouvements anormaux qui l’empêchaient de réaliser les actes les plus élémentaires de la vie quotidienne – comme cuisiner, lire, conduire et même marcher – ont presque disparu.

Les médecins de l’Institut de neurologie de l’University College London (UCL) et de l’hôpital national de neurochirurgie de Londres, qui prennent en charge Jayne Bargent, dans le cadre d’un essai thérapeutique, se disent surtout impressionnés par la rapidité avec laquelle est survenue l’amélioration des symptômes.

Les effets se sont fait sentir en moins d’une heure, alors que la stimulation cérébrale profonde – utilisée aussi dans d’autres maladies des mouvements, comme le Parkinson – met habituellement plusieurs semaines à agir. Pour autant, ce traitement est encore loin d’être validé dans le cadre du syndrome de Gilles de la Tourette.

UN TRAITEMENT D’EXCEPTION

Au total, dans le monde, seulement une soixantaine de malades souffrant d’une forme très sévère de cette pathologie neuropsychiatrique complexe caractérisée par des tics en ont bénéficié, la plupart dans le cadre de protocoles de recherche. Celui mené par l’équipe du neurologue Tom Foltynie (University College London) inclura au total 12 adultes.

Ils seront suivis pendant six mois, avec une période de trois mois où les électrodes seront activées et une période de trois mois où elles ne le seront pas, sans que ni les principaux intéressés ni l’examinateur en soient informés (double aveugle). Le recrutement prendra environ deux ans, évalue le docteur Foltynie. D’autres essais sont en cours, notamment en France.

A terme, si ses bons résultats se confirment, la stimulation cérébrale profonde pourrait être proposée aux malades les plus atteints, dont les symptômes résistent aux traitements médicamenteux classiques tels que les neuroleptiques. Mais elle restera un traitement d’exception. Il s’agit en effet d’une stratégie lourde, nécessitant une intervention spécialisée de neurochirurgie. Utilisée pour la première fois, en 1987, dans la maladie de Parkinson, la stimulation cérébrale profonde consiste à implanter dans les noyaux cérébraux profonds (au niveau d’une cible précise, de localisation variable selon la pathologie visée) une ou deux électrodes de deux millimètres de diamètre.

Commandées par un petit boîtier situé sous la peau, elles délivrent des impulsions électriques de haute fréquence qui modulent l’activité des voies nerveuses impliquées dans les symptômes, permettant ainsi de les soulager. Au total, en vingt-cinq ans, des dizaines de milliers de patients ont bénéficié de ce traitement, qui est pratiqué dans 26 centres en France. Les complications potentiellement sévères, rares, sont principalement hémorragiques et infectieuses.

« Trois indications de la stimulation cérébrale profonde sont aujourd’hui validées, la maladie de Parkinson, les dystonies et les tremblements essentiels, précise le docteur Marc Lévêque, neurochirurgien au CHU de Marseille. Et cette méthode est en cours d’évaluation dans bien d’autres pathologies neuropsychiatriques, notamment la dépression, les troubles obsessionnels compulsifs, des addictions comme l’alcoolisme… » Une étude menée par l’Américaine Helen Mayberg, publiée le 2 janvier sur le site de la revue Archives of General Psychiatry, montre ainsi qu’une stimulation cérébrale profonde au niveau du gyrus cingulaire subcallosal obtient des résultats intéressants dans les dépressions – y compris bipolaires – résistantes aux antidépresseurs. Evalué chez 17 patients, ce traitement a été bien toléré, avec un effet persistant pendant les six mois de l’étude, et même avec un recul de deux ans chez certains malades.

AMÉLIORATION DES SYMPTÔMES

Dans le syndrome de Gilles de la Tourette, la stimulation cérébrale profonde a été pratiquée pour la première fois en 1999, dans le prolongement des tentatives de chirurgie ablative. Les tics seraient attribués à une hyperactivité dopaminergique, due à un défaut d’inhibition sur un circuit mettant en jeu le cortex et des noyaux profonds, thalamus et striatum. « Depuis le début des années 1960, de nombreuses structures anatomiques ont été prises pour cible dans des interventions classiques de psychochirurgie, raconte le docteur Lévêque. Aujourd’hui, ces opérations ont quasiment disparu au profit de la stimulation cérébrale profonde, qui présente l’avantage d’être réversible et adaptable ».

Reste à déterminer la meilleure zone pour implanter les électrodes, et les modalités idéales de stimulation. Actuellement, deux principales cibles ont été identifiées au sein du globus pallidus et du thalamus, relève le docteur Marie-Laure Welter, neurologue à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière (Paris), qui coordonne un essai thérapeutique sur le syndrome de Gilles de la Tourette. Dans une étude préliminaire portant sur trois patients, publiée en 2008, l’équipe parisienne a obtenu une amélioration des symptômes de l’ordre de 70 % avec une stimulation au niveau de la zone interne du globus pallidus.

Le protocole actuellement en cours inclut 14 volontaires qui sont stimulés avec cette même cible – proche de celle choisie par l’équipe britannique. Les critères de sélection, très stricts, excluent les moins de 18 ans, mais l’âge auquel ce traitement pourrait être proposé fait débat. Certes, cette maladie régresse spontanément dans la majorité des cas au début de l’âge adulte, mais une stimulation profonde peut se discuter plus tôt, estime le docteur Welter, dans des cas extrêmes d’adolescents complètement désocialisés et déscolarisés.

« Bientôt, poursuit la neurologue, nous disposerons de systèmes d’imagerie de type IRM ou scanner utilisables en per-opératoire, permettant un recalage de la cible pendant l’intervention. Quant aux électrodes, elles vont devenir plus fines. Les stimulations seront donc encore plus précises avec, dans l’avenir, des impulsions qui pourront être délivrées de façon adaptée aux dysfonctionnements neuronaux propres à chaque patient. » Un pas de plus vers des interfaces cerveau-machine.

(Le Monde) Sandrine Cabut

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