Le 28 janvier n’est pas seulement l’anniversaire de Nicolas Sarkozy. C’est aussi, depuis 2007, la journée européenne de la protection des données. Pour l’édition 2012, la Ligue des droits de l’Homme a décidé de mettre l’accent sur l’un des plus importants – et préoccupants – fichiers de police français, le Fnaeg, le Fichier national automatisé des empreintes génétiques.
Depuis sa création en 1998, il a augmenté dans des proportions drastiques, au point qu’il comprendrait aujourd’hui les empreintes de deux millions de Français.
Jean-Claude Vitran, trésorier national de la LDH et responsable depuis six ans du groupe de travail Libertés & TIC qui suit cette question, revient sur les enjeux du Fnaeg. Entretien.
Pourquoi vous intéresser au Fnaeg et pas aux autres fichiers ?
La question du Fnaeg nous a paru la plus prégnante, notamment parce que plusieurs membres de la Ligue ont été poursuivis pour leur refus de se soumettre à un prélèvement d’ADN. Des militants dans des manifestations, ou des faucheurs OGM. On voudrait enfin sortir du problème que pose ce fichier.
Pourquoi ce fichier a-t-il été créé ?
Il existe depuis 1998. A cette époque, un tueur et violeur en série, Guy Georges, vient d’être arrêté. Le gouvernement Jospin décide de créer un fichier d’empreintes génétiques, mais limité aux délinquants sexuels. Au départ, il y avait aux alentours de 1 500 identités dans ce fichier.
Puis en 2001, la gauche a commencé à étendre les infractions concernées, et de loi Perben I en loi Perben II… il y a eu six modifications importantes de la loi, avec une extension des possibilités de prélèvement de la salive à pratiquement tous les délits qui mettent en cause le bien d’autrui.
A deux exceptions : les délits politiques, et les délits financiers. Ces gens-là ne sont pas fous !
Et aujourd’hui, il y aurait plus de 2 millions d’identités recensées dans le Fnaeg ?
Le chiffre est difficile à connaître. Selon des fuites au plus haut niveau du ministère de l’Intérieur, il y aurait entre 2 millions et 2,5 millions d’empreintes collectées. Alors que les chiffres officiels donnent autour de 1,7 million, nous sommes sûrs que c’est au-delà de deux millions.
Peut-on être fiché au Fnaeg en cas de simple soupçon ?
Pour être clair, je vais vous donner un exemple, celui d’une affaire qui vient d’arriver. Elle concerne un jeune couple en état de grande précarité. Pour survivre, ils « volaient » dans des poubelles de supermarché.
Sur dénonciation du propriétaire du magasin, ils sont arrêtés par la police et placés en garde à vue. On les accuse de vol, ce qui permet à l’officier de police judiciaire de prélever leur ADN, ce qu’ils refusent.
Le problème du Fnaeg, depuis sa modification par la droite, c’est que la décision de prélever l’ADN est une décision de police, pas de justice. Le procureur de la République n’a pas son mot à dire, sauf quand il s’agit de retirer quelqu’un du fichier.
En l’espèce, les deux jeunes ont été relaxés des faits de vol, mais ils ont été condamnés pour refus de prélèvement d’ADN à une amende de 100 euros, alors qu’ils n’ont pas d’argent.
Un tel fichier ne peut-il pas être efficace pour résoudre certaines affaires ?
Si, certainement. Un exemple est souvent cité par les autorités : quand on découvre une personne décédée sans identité, son empreinte génétique peut permettre de l’identifier.
La LDH n’a jamais été contre le Fnaeg. Mais nous pensons que des gens relaxés n’ont pas à y figurer. En admettant même qu’on collecte l’ADN pendant la garde à vue, il faut qu’il soit effacé de la base en cas d’abandon de poursuites ou de relaxe.
Quel réponse obtenez-vous quand vous demandez ce changement ?
J’en ai parlé avec différents procureurs de la République dans plusieurs départements. Presque à chaque fois, on m’a répondu : « Ecoutez, ça peut servir à quelque chose. »
Le Fnaeg, c’est le fichier des gens honnêtes. Aujourd’hui, la perception de l’innocence est en train de ce modifier. Pour nous, à la LDH, on est bien au-delà du fichage généralisé.
Mais comment être « au-delà du fichage généralisé » ? C’est impossible de ficher plus que tout le monde…
Je dis « bien au-delà » par rapport aux autres pays européens, et même par rapport aux Etats-Unis. Aujourd’hui, Claude Guéant veut faire un autre fichier des gens honnêtes, celui des cartes d’identité biométriques. Soixante-cinq millions de Français fichés !
Le Sénat et l’Assemblée sont opposés : l’Assemblée veut un « lien fort », ou, pour simplifier, un fichier de police, alors que le Sénat veut un lien faible. Mais l’Assemblée aura le dernier mot le 1er février.
Quelle est la position de l’opposition sur ce fichier ?
Je ne la connais pas, mais mon intime conviction, c’est qu’ils reviendront sur le Fnaeg. Cela dit, je peux me tromper : vous avez au PS des gens comme François Rebsamen ou Manuel Valls qui ont des positions sécuritaires très proches de celles de la droite actuelle.
Mais vous avez aussi Jean-Jacques Urvoas ou Delphine Batho sur des positions inverses.
Ce qui nous semble important, c’est que chaque fichier soit créé et encadré par la loi.
Sur le Fnaeg, il y a deux jurisprudences importantes : la Cour de cassation a entériné un refus de prélèvement d’ADN, et le Conseil constitutionnel a appelé à limiter le prélèvement aux « crimes et aux délits graves » cités à l’article 706-55 du code de procédure pénale, et à une durée de conservation des données « raisonnable », alors qu’elle est aujourd’hui de quarante ans pour les condamnés et vingt-cinq ans pour les prévenus.
Ces décisions ont-elles changé quelque chose ?
Non, rien. Il s’agit de jurisprudence, plaidable par des avocats pour leurs clients devant les tribunaux, ce qui leur permet d’avoir gain de cause.
Mais au niveau de l’Etat, rien n’a changé. Il est étonnant que dans un Etat de droit comme le nôtre, des décisions de juridictions suprêmes ne soient pas respectées.
Y a-t-il d’autres fichiers qui vous posent problème ?
Oui ! Le rapport Bénisti-Batho considère qu’il y a 80 fichiers de police aujourd’hui, contre 36 en 2006, et que presque la moitié de ces fichiers n’ont pas de base légale. Il y a aussi le Stic, dont la Cnil a constaté il y a deux ans qu’il comportait plus de 50% d’erreurs… On ne peut pas continuer à baser une vie sociétale sur des erreurs aussi importantes.
Aujourd’hui, nous sommes dans une course folle, une fuite en avant. Notre constat peut se résumer ainsi : on en fait tellement aujourd’hui qu’à un moment donné on sera obligé de revenir en arrière. Mais on en aura fait tellement qu’on ne reviendra pas sur tout.